Cet article s'interesse a la facon dont le multiculturalisme – entendu ici au sens d’un ensemble de theories qui fondent la critique communautarienne du liberalisme abstrait – parvient ou non a prendre en compte la du corps. Par cette expression, nous n’entendons pas seulement les pratiques ou techniques du au sens donne a ce terme par Marcel Mauss, mais l’idee d’une rationalite enveloppee dans la corporeite, d’une rationalite faisant fond sur l’experience de notre incarnation. Pour aborder ces questions, l'article propose une reflexion en trois temps : (i) il rappelle d’abord que la force de la critique communautarienne du liberalisme est attenuee par le fait que, se preoccupant essentiellement des roles constitutifs de l’identite, elle fait du corps un prolongement de la culture et ne parvient pas a rendre compte de l’experience morale comme telle ; (ii) il s’interesse ensuite aux travaux de Christophe Dejours, qui associent la critique des injustices dans le travail a la reconnaissance du travail reel et de l’intelligence du corps, condition du retournement de la souffrance en plaisir ; (iii) il se penche enfin sur la question de la difference des sexes, telle qu’elle apparait dans l’oeuvre de Judith Butler : rejetant toute fondation ontologique, cette perspective situe le sujet ethique dans l’espace d’assujettissements et de resistances qui caracterisent la constitution de l’identite sexuee. Cet article conclut en suggerant de sortir du paradigme de justice redistributive pour lui preferer celui de justice reconstructive, attentif aux conditions de formation du sujet ethique comme sujet incarne.