LES TRADUCTEURS 1VICTOR HUGO La tombe finit toujours par avoir raison.Tout récemment, une occasion s'est offert de prononcer sur Shakespeare le verdict suprême et de liquider le passé, la date illustre de la naissance du poëte de Stratford, le 23 avril, est revenue pour la trois centième fois.Au bout de trois cents ans, le genre humain a quelque chose à dire à un esprit longtemps insulté; il a semblé que Shakespeare se présentait au seuil de la France, Paris s'est levé, les poëtes, les artistes, les historiens ont tendu la main à ce fantôme, autour duquel les poëtes apercevaient Hamlet, les artistes Prospero, et les historiens Jules César; le sauvage ivre, l'arlequin barbare, le Gilles Shakespeare est apparu, et l'on n'a vu que de la lumière; la moquerie de deux siècles s'est achevée en éblouissement, et la France a dit: Sois le bienvenu, génie!La gloire a pris acte.On a senti dans l'ombre quelque chose comme l'adhésion de nos morts augustes; on a cru voir Molière sourire, on a cru voir Corneille saluer; des vieilles haines, des vieilles injustices, rien, pas une protestation, pas un murmure, enthousiasme unanime; et, à cette heure, les appréciateurs définitifs du fond des choses, ceux qui doublen leur aversion des despotes d'amour pour les intelligences, ceux qui, voulant que justice soit faite, veulent aussi que justice soit rendue, les contemplateurs, les solitaires pensifs occupés de l'idéal, les songeurs, admirent, émus, l'apaisement qui s'est fait autour de cette majestueuse entrée.Shakespeare, c'est le sauvage ivre.Oui, sauvage!c'est l'habitant de la forêt vierge ; oui, ivre, c'est le buveur d'idéal.C'est le géant sous les branchages immenses; c'est celui qui tient la grande coupe d'or et qui a dans les yeux la flamme de toute cette lumière qu'il boit.Shakespeare, comme Eschyle, comme Job, comme Isaïe, est un de ces omnipotents de la pensée et de la poésie, qui, adéquats, pour ainsi dire, au Tout mystérieux, ont la profondeur même de la création, et qui, comme la création, traduisent et trahissent extérieurement cette profondeur par une profusion prodigieuse de formes et d'images, jetant au dehors les ténèbres en fleurs, en feuillages et en sources vives.Shakespeare, comme Eschyle, a la prodigalité de l'insondable.L'insondable, c'est l'inépuisable.Plus la pensée est profonde, plus l'expression est vivante.La couleur sort de la noirceur.La vie de l'abîme est inouïe ; le feu central fait le volcan, le volcan produit la lave, la lave engendre l'oxyde, l'oxyde cherche, rencontre et féconde la racine, la racine crée la fleur ; de sorte que la rose vient de la flamme.De même l'image vient de l'idée.Le travail de l'abîme se fait dans le cerveau du génie.L'idée, abstraction dans le poëte, est éblouissement et réalité dans le poëme.Quelle ombre que le dedans de la terre !quel fourmillement que la surface !Sans cette ombre, vous n'auriez pas ce fourmillement.Cette végétation d'images et de formes a des racines dans tous les mystères.Ces fleures prouvent la profondeur.V. Hugo / Les traducteurs Mutatis Mutandis.Vol 1, No 1
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Translation Studies and Practices
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FuenteMutatis Mutandis Revista Latinoamericana de Traducción