« Il faudrait [dans Crash] distinguer deux points de vue : celui des personnages […] et celui du spectateur » écrit Paul-Marie Battestini dans son ouvrage sur le film de David Cronenberg. On peut néanmoins s'interroger sur une troisième perspective, qui serait celle des voitures au centre de ce film comme de Cosmopolis, du même auteur, essentielles et proches de devenir des personnages en elles-mêmes. Cet article s'applique ainsi à observer la place variable des véhicules dans les rapports charnels et affectifs qui se déploient au sein des films Crash et Cosmopolis de David Cronenberg. Il ne s'agit pas pour autant de considérer Crash et Cosmopolis comme des exceptions dans l'histoire du cinéma nord-américain, ni même au sein de l'œuvre de Cronenberg : le phénomène d'attachement, de dépendance et d'érotisme qui se donne à voir ici est l'aboutissement d'une histoire du cinéma qui a donné à la voiture une place toujours plus complexe et prépondérante, en lien avec sa fétichisation dans la culture occidentale. Qu'il s'agisse pour Cronenberg de narrer la quête de l'accident parfait d'un groupe de fétichistes fin de siècle, ou la dissolution physique et mentale d'un trader reclus dans sa limousine, la voiture dépasse toujours son statut de décor ou de moyen de mise en mouvement pour les personnages : tantôt engin de mort, tantôt verre grossissant, cercueil en puissance ou berceau métaphorique, elle est un personnage à part entière au sein d'œuvres centrées sur le désir et ses variations. Il s'agit donc d'étudier, au-delà des binarismes plaisir/douleur ou protection/destruction, la manière dont les deux films incarnent une volonté chez Cronenberg d'explorer, davantage qu'une « nouvelle chair », une bascule de perspective à la faveur du point de vue des machines elles-mêmes.