L’experience nihiliste de vivre dans un monde depourvu de sens est rattachee a l’expansion mondiale du capitalisme, qui n’est pas simplement un mode de production mais aussi et surtout un regime de devastation de la capacite humaine de creer et de conferer du sens et de la valeur au monde ainsi qu’a l’activite humaine comme telle. Le capitalisme — prive ou d’Etat— est un regime de cloture du possible qui assigne a l’humain ainsi qu’a tout ce qui existe la signification absolue de ressource disponible et appropiable en vue de l’accumulation de l’avoir et du pouvoir. Un regime qui est incompatible avec la culture dont le sens premier est le prendre soin de la terre — puis le prendre soin de l’humain. L’activite capitaliste est portee par un modele de rationalite purement instrumentale et calculatrice, determinant une subjectivite « unidimensionnelle », capable de finalites utilitaires mais incapable de (re)creer socialement et incessamment une symbolique du sens existentiel. Une subjectivite sans esprit, a l’image du « dernier homme » decrit par Nietzsche, pour lequel l’habitude de regarder vers le bas lui fait perdre jusqu’a la signification du mot « etoile ». La critique de la devastation « moderne » de la vie humaine et de la vie en general passe aujourd’hui par une critique culturelle du capitalisme, explicitant le statut ideologique du nihilisme. La critique de la cloture capitaliste du symbolique ne signifie nullement qu’il faille revenir aux recits traditionnalistes du sens et de la valeur — comme le pretendent certains integrismes religieux et politiques du present. En tant que modalite de l’exigence critique de la pensee, la critique culturelle du capitalisme nous invite a repenser historiquement les conditions du sens existentiel et de la valeur, par dela toute dogmatique et en deca des dichotomies etablies entre le « reel » et l’ « utopie », la « raison » et l’« imaginaire », le « visible » et l’invisible ». Elle entend ainsi contribuer a liberer un espace de pensee et de passion en vue de la (re)creation des « energies utopiques » de l’humain ou, pour le dire peut-etre plus simplement, de l’esprit humain. Ce livre entend proposer, de maniere succincte, une serie de reperes historiques et thematiques de la critique culturelle du capitalisme.