Cet article étudie la manière dont est construite la frontière d'un Etat de facto, en prenant pour exemple la frontière constestée entre l'Abkhazie et le territoire administré par la Géorgie. Il se fonde sur une recherche de terrain qui couvre la période 2015-2018, avec plusieurs séjours en Abkhazie, dix franchissements de cette frontière et une série d'entretiens formels et d'échanges informels. L'attention est portée sur les acteurs individuels, les acteurs politiques et les institutions qui construisent l'espace frontalier matériellement et symboliquement. Les autorités abkhazes mènent une politique de réappropriation territoriale en coopération avec la Russie (délimitation et sécurisation de la frontière, contrôle des flux et réaménagement de l'espace identitaire). De leur côté, les autorités de Tbilissi mettent en œuvre une politique de réconciliation et d'attractivité en prônant le développement de la zone frontalière. De plus, elles essayent de rendre cette frontière invisible, car elles contestent son statut de limite internationale. De fait, le conflit analysé dans cet article ne porte pas sur le tracé de la ligne qui sépare l'Abkhazie du reste de la Géorgie. Il porte sur son statut. S'agit-il d'une frontière interétatique au sens classique de limite entre deux Etats souverains ? Ou d'une limite administrative interne à l'Etat géorgien ? L'évolution de cette limite contestée vers le statut de jure de frontière internationale stricto sensu ou vers le celui de limite administrative dépend des décisions prises par les deux entités politiques riveraines (la Géorgie et l'Abkhazie). Toutefois, sur le terrain, le temps semble être un facteur de stabilisation de la situation de facto et de la possible consolidation de cette frontière est une hypothèse envisageable.